6/6 – 21/9 2019
Galerie Denise René | Paris | France
Cela fait plus de cinquante ans que Christian Megert travaille avec des miroirs, il appartient à une génération d’artistes, qui, au début des années 60, voulait redéfinir les limites de l’art. En tant que “ambassadeur suisse de l’Art-ZERO”, Christian Megert fait partie intégrante de l’histoire de l’art du 20ème siècle. Depuis 1961, il a transformé l’espace avec des miroirs, et a ainsi élargi les possibilités de perception à l’intérieur même de l’art plastique. Dans son manifeste “Ein neuer Raum” (Un nouvel espace), il a formulé l’ambitieuse qualité de son oeuvre dans des termes encore valables aujourd’hui. Il y revendique un espace, dans lequel on retrouverait “tous les problèmes liés à l’espace dans le passé et le futur (…)”, et, réellement, ses espaces miroirs ont un effet immédiat intemporel. Le contexte historique de ZERO constitue seulement l’arrière-plan du débat actuel concernant son art.
Les miroirs sont vides, le spectateur y voit des reflets de son environnement. Sans spectateur, ses “Spiegelräume” n’ont pas de sens. Megert exauce la maxime de Marcel Duchamp, qui était le premier artiste à reconnaitre comme indispensable la part décisive du spectateur dans la constitution d’une oeuvre d’art. Comme les miroirs sont vides, ils n’ont ni style, ni âge. Ce qu’ils reflètent est toujours le présent de leur spectateur.
Les “Spiegelräume” ne manquent pourtant pas de forme. Megert a étudié très exactement le potentiel du miroir et use de toutes les possibilités du simple miroir plan. Il s’est consciemment limité au miroir plat et n’a jamais utilisé de miroir concave ou convexe. Il a dirigé l’exposition de ses miroirs de manière planifiée, les a ajustés dans différentes directions mais aussi accrochés librement dans la pièce, de façon à ce qu’ils puissent bouger selon les mouvements de l’air.
Ses premières oeuvres étaient composées de débris de miroirs qui réfléchissaient des parties infimes de la réalité par des fragments de l’espace environnant.
Ses installations de grands miroirs confrontés les uns aux autres suggèrent, par contre, un espace manifestement infini que le spectateur ne peut jamais complètement exploiter. Les arrangements formels de Megert sont en même temps toujours limités à l’essentiel et très simples.
Les miroirs sont carrés ou ronds, ils sont disposés selon des méthodes évidentes et rationnelles.
Mais leur effet n’est pas facile à saisir précisément, on ne peut que le vivre de façon différente selon chaque spectateur. Les miroirs de Christian Megert ne sont pas fonctionnels, ils ne sont pas faits pour se maquiller ou se raser. Ils nous touchent plus profondément, s’adressant à une couche existentielle de notre conscience. Ils obligent le spectateur à se déplacer, car ils ne fixent pas de point de vue idéal mais offrent au contraire de nombreux points de vue possibles. Le spectateur se voit à plusieurs endroits dans la pièce; il ne fait pas l’expérience d’un espace formant un continuum sans rupture, mais plutôt un environnement à multiples facettes, sans cesse changeant. Le spectateur se sent lui-même, face aux miroirs de Christian Megert, en tant qu’être percevant, observant et ressentant un espace. La précision de la composition réalisée par l’artiste retombe presque complètement en arrière-plan. De ces “Spiegelräume” émane une forte puissance anonyme. Leurs origines remontent à une ère artistique, qui mena l’évolution de l’art moderne des années 50 à sa fin logique; en tant qu’oeuvres d’art autonomes elles s’affirment pourtant jusqu’à aujourd’hui avec une fraicheur intacte, et elles peuvent être redécouvertes par chaque nouvelle génération.
Kay Heymer